Nid d’aigle

  • Parcours : Qaf’e Thanës – Elbasan – Tiranë – Krujë – Laç – Lezhë – Shköder – Muriqan (frontière)
  • Kilométrage : 271 kms
  • Durée : 3 jours

Difficile de se faire une idée d’un pays lorsqu’on y reste à peine 72 heures, cependant suffisant pour me forger une image bien différente de celle que l’on m’avait servie. Lorsque l’on me parlait d’Albanie, notamment en Grèce ou en Macédoine, c’était surtout pour me mettre en garde contre ce pays pauvre, des Albanais fermés sur eux-mêmes et voleurs, alors que le plus souvent ces personnes n’y avaient jamais mis les pieds…

La première image que je garde de l’Albanie, c’est celle des montagnes traversées le premier jour (qui occupent les 2/3 du territoire), et de la route qui m’amène à Tirana, la capitale du pays. Le lac d’Ohrid d’abord, vu des hauteurs qui embrassent les sommets macédoniens culminant à plus de 2000 mètres, aujourd’hui couverts de neige fraîche. Un lac d’Ohrid qui semble se réveiller ce matin comme au premier jour du monde, et sur les bords duquel apparaissent déjà les bunkers de béton construits à l’époque de la dictature d’Enver Hoxha*. La route descend ensuite progressivement, se frayant un espace étroit au fond des gorges successives, que surplombent des habitations isolées, comme juchées sur des nids d’aigle, inaccessibles. Après 95 kilomètres parcourus, c’est une ascension inattendue de 20 kilomètres à 10% qui m’emmène sur des crêtes offrant un panorama spectaculaire sur la Mer Adriatique et le Mont Partisan, tous deux à une quarantaine de kilomètres de là.

Je garderai ensuite l’image de cet accueil chaleureux que j’ai reçu. Alors que je m’arrête pour prendre une photo dans le premier village que je traverse, deux hommes assis à une terrasse m’interpellent et me demandent d’abord sèchement pourquoi je photographie un bâtiment. L’explication donnée dans un langage de signes, et qui semble les satisfaire, ou dont il semble plutôt se moquer, ils me tendent une chaise et me commandent une bière. Il est 10 heures cependant, je décline l’offre, trop tôt pour moi…

Je m’arrête plus tard dans un boui-boui bondé pour déjeuner : pas de langue commune, pas de menu, le serveur se met donc en quête d’un traducteur albanais – anglais, qui sera trouvé au bout de 10 minutes. L’espresso, après ce qui ressemble à un tchorpa (sorte de soupe avec des morceaux de mouton bouilli en l’occurrence), c’est « pour la maison » me dit-il en se pointant lui-même du doigt. En milieu d’après-midi, alors que je ne sais pas encore que je n’ai fait qu’à peine un dixième de la côte de 20 kilomètres qui n’en fait que 5 sur ma carte, j’achète sur le bord de la route une banane à Lulja, qui m’offre pour repartir quelques pommes et ce qui ressemble à une énorme meringue. Lulja devait savoir que l’ascension était encore longue…

Sur la route enfin, on klaxonne comme d’habitude pour me prévenir ou afin que je roule sur le bas-côté, mais aussi pour me demander si tout va bien avec un pouce levé en signe de «ok?». Des enfants me lancent des « Hello » amicaux, quelques enchainements appris à l’école, du style « Hello ! How are you ? Come from ? » (« Salut : Comment ça va ? Tu viens d’où ? ») et j’entends également des « Be careful ! » («Sois prudent ! »).

En effet, dans ce pays où la population ne conduit réellement que depuis moins de 20 ans (les 2000 voitures que comptaient le pays sous le régime autoritaire appartenaient essentiellement aux dirigeants communistes), les pick-ups et grosses cylindrées immatriculées en Italie* côtoient quelquefois des charrettes tirées par des ânes ou bien des tracteurs, sur des voies uniques et littéralement défoncées en dehors des grands axes, qui sont par ailleurs dépourvus de réels bas-côtés… Une agitation chaotique et anarchique donc qui règne sur les routes, mais également aux abords : les innombrables stocks de tôle et de pièces détachées, puis les cafés, surgissent parfois au milieu de nulle part ; sur l’aire de repos, les fermiers du coin exposent ici en plein air la viande à vendre ; là le barbier a élu domicile quasiment au milieu d’un champ.

L’Albanie enfin m’aura laissé une image beaucoup moins plaisante, déjà aperçue en Macédoine, celle d’une véritable décharge à ciel ouvert. Le plastique a envahi le quotidien de tout un chacun, les commerçants donnent un sac pour le moindre snickers ou paquet de chewing-gum, mais comme le reste des déchets, le plastique ne fait vraisemblablement pas ici l’objet d’un traitement. Il flotte au vent dans les arbres, à la surface des cours d’eau aux couleurs souvent douteuses, ou se dégrade lentement dans les champs. «Il faudra quelques années, comme en Italie » me dira un Albanais, mais à quel prix…

Quizz

En Albanie, on peut observer des peluches suspendues sur de nombreux bâtiments, le plus souvent en construction (voir photo infra). Pour quelle raison les Albanais font-ils cela ?

* Enver Hoxha, premier secrétaire du Parti Communiste albanais dans les années 40, devient le premier Président de la République Populaire d’Albanie (proclamée en 1946) et le restera durant près de 40 ans. Proche de l’URSS après la Seconde Guerre Mondiale, puis ensuite de la République Populaire de Chine, le pays choisit la voie de l’isolationnisme complet à partir de 1978. Pour se défendre en cas d’invasion ennemie, quelques 700 000 bunkers en béton (soit un pour 5 habitants !) ont été construits, notamment en haut de collines et sur les plages.

* Sortir du pays était impossible durant les années de dictature. Après la mort d’Enver Hoxha, le régime se fissure néanmoins peu à peu et de nombreux Albanais fuient le pays pour chercher du travail ailleurs, notamment en Italie (de l’autre côté de l’Adriatique) où beaucoup d’entre eux reçoivent l’asile politique. L’Italie est aujourd’hui encore une destination recherchée, ceci explique les nombreuses voitures immatriculées en Italie, et le fait que la langue étrangère la plus communément parlée en Albanie soit l’italien.

Une Réponse to “Nid d’aigle”

  1. BERARD Says:

    petite anectode sur l’Albanie lorsque le pays était sous la dictature d’enver hoxha, les cheveux longs étaient interdit dans le pays et les rares touristes qui arrivaient à l’aéroport de TIRANA et qui avaient les cheveux sur la nuque étaient systematiquement dirigés vers un coiffeur avant de passer la frontiére de l’aéroport.

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