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Quatre saisons

26 avril 2011
  • Parcours : Istanbul – Silivri – Tekirdag – Malkara – Feres – Alexandroupolis – Maronia – Mandra – Kavala – Kariani – Thessalonique – Veroia – Ritini – Servia – Ptolemaida – Aetios – Frontière macédonienne
  • Kilométrage : 1097 kms
  • Durée : 15 jours

Istanbul

Il y a des lieux comme ça que l’on ne parvient pas à quitter, Istanbul en fait partie. Je prévoyais d’y passer au plus une semaine, j’y ai finalement séjourné 15 jours. On trouve toujours une raison pour rester : une guesthouse sympa où l’on partage ses expériences avec d’autres voyageurs ; un quartier inexploré, un tekke* encore opérationnel, une pâtisserie dont vous a parlé un local rencontré autour d’un narghilé ; les rives du Bosphore, la météo qui s’annonce peu clémente, etc… bref, un peu de tout ça à la fois en fait.

L’ancienne Constantinople, c’est aujourd’hui une mégalopole de 16 millions d’habitants, une « petite Turquie » qui s’étend sur les 2 rives du Bosphore et continue de grignoter l’espace occupé par les forêts bordant la Mer Noire. Si dans le quartier historique de cette ancienne capitale de l’Empire ottoman, on est loin des intrigues, des dangers et de l’exotisme oriental que décrivait Pierre Loti à la fin du 19è siècle, il est toutefois facile de s’éloigner de l’agitation touristique et de se retrouver dans les quartiers plus authentiques et traditionnels, aux ruelles étroites et agitées, où le simitdji (vendeur de simit, ces petits pains de forme circulaire couvert de graines de sésame) vous demande si vous ne vous êtes pas perdus et où l’on vous propose inévitablement quelques tchaï.

Si je devais garder une image de la ville, ce serait celle de ce café du quartier de Beyazit, où mes pas m’ont régulièrement amené. Logés dans la cour d’une ancienne medrese (école d’enseignement religieux), plusieurs cafés ont en réalité investi le lieu où des stambouliotes ont l’habitude de se retrouver en fin de journée. Sous les volutes de fumée planant entre les lanternes multicolores que supportent des voûtes décorées d’arabesques, je commence une longue conversation avec Muhammad, un Turc francophone assis à côté de moi. Après un cours d’histoire sur le lieu, il m’explique qu’ici chaque habitué, comme le maire de l’arrondissement derrière nous, a « sa » place et « son » narghilé disposé d’une manière spécifique (càd à la turque, avec un chibouk* plus long que son camarade égyptien pour pouvoir poser son coude sur sa cuisse, « moins fatigant » me dit-il…). Professeurs, marchands de tapis, étudiants et j’en passe, tout ce petit monde se retrouve là et discute avec son voisin, ou tire longuement en silence sur son narghilé. Lieu de détente d’une clientèle quasi exclusivement masculine, on y vient également pour discuter affaires dans de petites salles prévues à cet effet.

Je reviens plus tard dans ce café où l’on partage la banquette du voisin, et y fais à chaque fois une nouvelle rencontre. A l’approche de l’Europe, je me dis que ces moments vont me manquer : ces discussions imprévues sur le coin d’une table ou sur le bord d’une route, les petites attentions et les invitations qui ont émaillé le parcours depuis mon départ, cette « chaleur » humaine qui nous fait me semble-t-il défaut dans nos contrées occidentales.


Thrace

2 semaines de petits plaisirs et de déambulations donc, avec cependant les jambes qui fourmillent. Avant de reprendre la route, il me faut remettre en état ma bicyclette qui a souffert durant ce dernier mois : de la rouille un peu partout, des câblages détendus, sans parler de la chaîne, de la cassette arrière (ndlr: vitesses sur la roue arrière) et des plateaux qui ont besoin d’être nettoyés.

Je quitte donc Istanbul comme neuf, avec l’idée de mettre le cap sur le sud des Balkans* pour aller chercher un peu de chaleur. Dernier soubresaut d’un hiver court et tardif, les chutes de neige abondantes à mon arrivée à Istanbul laissaient rapidement la place à un grand soleil : les oiseaux commençaient à chanter le printemps, les amandiers en fleur se paraient de leurs teintes argentées et cette brise fraîche printanière rafraîchissait l’air doux et sec lorsque je passais la Sublime Porte*.

La sortie de l’ancienne capitale impériale vaut celle de Téhéran, le trafic est vraiment très dense et je regrette de ne pas avoir pris un bus pour m’échapper de ces grands axes. Je dois attendre de passer Silivri, à environ 80 kilomètres pour seulement voir la Mer de Marmara. Je la longe depuis mon départ mais n’aperçois ses eaux scintillantes que par bribes seulement car le littoral est envahi d’immeubles et d’habitations similaires, entre lesquels paissent péniblement quelques troupeaux de vaches et de moutons.

Il me semble déjà que les allures et traits physiques ont changé de ce côté-ci de la Turquie : moins ronds, les visages sont plus allongés et laissent découvrir plus souvent des yeux bleu clair; la moustache, une institution en Turquie (ndlr : un Turc rencontré à Van m’expliquait sérieusement qu’il était capable de deviner à peu de choses près la profession d’un Turc selon les caractéristiques de sa moustache…), ne semble plus ici une affaire nationale. Je suis pourtant toujours au pays d’Atatürk, et les sollicitations pour étancher ma soif à coup de litres de tchaï sont là pour me le rappeler. Sous un pont, sur un chantier, dans une boulangerie, on m’assoit sur une chaise et on me laisse me reposer, ou on commence une petite conversation, parfois agrémentée de quelques questions drôles, du genre : « Conchita var ? « Var » signifiant « il y a » ou « tu as », la question est claire : « as-tu une Conchita ? », une copine vraisemblablement…

Pendant mon séjour en Anatolie, le vent n’aura quasiment cessé de m’accompagner. En Thrace, c’est le même refrain, la même symphonie lugubre et continue qu’un vent de nord ouest compose en se jouant de ma vitesse, de mes bagages et des interstices de ma tente lorsque je bivouaque. Sur le vélo, je peste comme d’habitude, car avec mon chargement, je dois pousser davantage sur les pédales pour atteindre la même vitesse, puis je continue résigné.

Un grand drapeau turc flotte à l’horizon, la frontière approche. Un dernier tchaï, un coup de tampon du côté turc, un signe de la main seulement côté grec, et j’ai les pieds dans l’Union européenne.


Grèce

Après 5 kilomètres d’autoroute, je bifurque sur une route de campagne au sud, pour me rapprocher de la mer. Sur les bas côtés, de petites chapelles apparaissent régulièrement, érigées sur des bornes en mémoire aux personnes défuntes qui ont péri lors d’un accident ou en remerciement pour les miraculés. Il me semble déjà que les dimensions ont changé ici, l’horizon semble fini : les montagnes de la chaîne des Rhodope au nord, les collines autour de moi où j’aperçois distinctement les habitations blanches parmi lesquelles se dresse l’église centrale. Entre les villages, les distances se raccourcissent, et je parviens néanmoins à trouver un bivouac confortable à l’abri des regards et du vent pour ma première nuit en Grèce.

Sous le soleil, j’atteins Alexandroupolis le lendemain midi, où je me régale de pain et de fromage frais accompagnés d’olives sur le front de mer, peuplé de terrasses de cafés bondées. La ville ne dispose pas de site d’intérêt particulier mais fleure bon la douceur de vivre méditerranéenne : espaces piétonniers, ruelles ombragées et arborées, balcons omniprésents desquels s’échappent parfums de cuisine et discussions animées, une quantité incalculable de cafés, fréquentés ici par de nombreux étudiants qui sirotent un café frappé autour d’une partie de cartes ou de backgammon.

Je m’offre un espresso en terrasse, ce p’tit noir qui m’avait manqué ces derniers mois, et me remets en route avec en point de mire Thessalonique (appelée aussi Salonique) 3 jours plus tard. Suivant l’itinéraire de ce qui était auparavant la Via Egnatia*, j’emprunte de petites routes et sentiers sinueux, d’abord le long d’un littoral escarpé couvert de maquis, puis dans les terres, occupées par de larges plaines cultivées, entrecoupées d’oliveraies, d’arbres fruitiers et d’églises. Le temps semble comme suspendu dans la plupart des villages traversés : l’animation est essentiellement perceptible aux terrasses du café du village où quelques hommes âgés consomment silencieusement un raki* ou un café en égrenant les perles de leur chapelet. Mon vélo et moi suscitons ici également curiosité et sollicitude, l’on m’offre quelques provisions pour la route, de quoi déjeuner, boire, en prenant le temps de m’expliquer la route que je dois prendre. L’occasion pour moi de commettre à chaque fois une erreur diplomatique en disant que je me rends en Macédoine, dont les Grecs revendiquent le nom… (ndlr : l’essentiel de la Macédoine historique fait désormais partie du territoire grec, dont la région que je traverse).

Chaque soir depuis mon arrivée dans le pays, je m’endors au son du clapotis de la pluie sur les parois de ma tente, puis je me réveille le matin dans une brume épaisse qui se lève progressivement pour laisser la place à un grand soleil. Comme d’habitude, je programme le réveil à 7h, comme d’habitude, je me lève à 8h30… Les nuits sont plus chaudes depuis quelques temps, ne sont plus entrecoupées de réveils à cause du froid ou de l’humidité et j’en profite. Je m’offre par ailleurs de superbes bivouacs avant Salonique, des bivouacs silencieux et isolés, en surplomb de la côte ou au bord de réserves naturelles. Quelques fois cependant, la recherche d’un bivouac constitue plus un choix par défaut que la quête d’un emplacement idéal, ce qui m’est arrivé lorsque je devais traverser une grande ville en fin d’après-midi. Ça ne loupe pas à Kavala : dans les faubourgs de la ville lorsque le soleil a déjà disparu derrière la côte, je finis par y trouver un site sur les hauteurs à une cinquantaine de mètres des immeubles. Heureusement, le chien qui ne cesse d’aboyer durant près une heure à l’entrée de ma tente n’éveille aucune inquiétude chez le voisinage resté muet.

Je reste 2 jours à Salonique, la deuxième ville de Grèce aujourd’hui. Lieu de naissance d’Atatürk, ancien carrefour portuaire et commercial incontournable aux époques antiques et byzantines, la ville attire surtout aujourd’hui beaucoup de jeunes venus pour étudier et profiter de sa vie nocturne, « la plus active de Grèce » me dira un Grec quelques jours plus tard. Pour ma part, j’y passe pour me rendre au pied du mont Olympe que l’on aperçoit déjà du port.

Le Mont Olympe est le point culminant de Grèce, à 2917 mètres d’altitude, mais surtout un lieu important de la mythologie grecque. En effet, son sommet constituait la demeure des Dieux, qui, cachés des mortels par les nuages, y séjournaient pour discuter et festoyer (ils se nourrissaient d’ambroisie qui les rendait immortels et buvaient le fameux nectar). Zeus, maître du Ciel et Dieu des Dieux, y possédait son trône et témoignait de sa présence et de sa colère à travers les orages qui éclataient autour de la montagne.

Parti de Veroia le midi, j’avale en un peu plus de 3 heures 50 kilomètres d’asphalte en pente douce sillonnant dans un épais maquis où surgissent quelques bergers grecs et albanais et leurs troupeaux de chèvres. Dans les hauteurs de la vallée de Katerini, je m’arrête pour un magnifique bivouac à près de 1000 mètres d’altitude en face de la demeure des Dieux, ensevelie sous la neige et abandonnée par ses célèbres occupants… Je contemple longuement cette montage vraiment impressionnante. J’ai vu de plus hauts et de plus beaux sommets, et même pédalé à une altitude plus élevée que sa cime, mais l’énorme masse de l’Olympe dégage une impression particulière parmi les sommets alentours qu’elle dépasse largement.

Cap sur Kozani le lendemain sur un tracé magnifique : la route longe d’abord de profondes gorges creusées au pied de la montagne sacrée, puis toujours à flanc de coteau, domine de larges vallées où le regard se perd au loin sur un tapis de sommets enneigés dont on ne perçoit que les formes sombres sous le ciel gris menaçant. Avant de me rendre en Macédoine (ou plutôt dans l’Ancienne République Yougoslave de Macédoine, FYROM en anglais, pour ne pas froisser les Grecs), je m’offre encore un joli parcours entre Ptolemaida et Kastoria, avec deux ascensions très exigeantes, après lesquelles je suis cependant joliment récompensé, comme souvent, par un panorama époustouflant.

Pédaler dans cette partie de la Grèce est un vrai régal, particulièrement au printemps, lorsque la chaleur est encore fraîche et humide. Les paysages montagneux sont fabuleux et ponctués de villages où il est plaisant de faire une pause café – bouquin – farniente. Avec ses deux lacs d’altitude et ses églises traditionnelles, la Macédoine se fend également de belles promesses…


Réponse à l’énigme précédente

Voici la fin du conte turc, donc ce que le sage a révélé à l’homme:

[…] Après lui avoir conté tout son voyage et ses rencontres, l’homme dit à l’ours :

  • Si tu manges la viande d’un idiot, ton mal de tête cessera.
  • Où vais-je trouver un meilleur idiot que toi ! ricana l’ours. Le vieux t’a donné tant de fois la fortune éternelle et tu n’as jamais saisi ta chance.

Et sur ces paroles, l’ours se jeta sur lui et le dévora.


Quizz

  •  Quelle mer ne borde pas les côtes du territoire grec ?
  1. La Mer Égée

  2. La Mer Caspienne

  3. La Mer Méditerranée

  4. La Mer Ionienne

  • Parmi les 4 dieux suivants, lequel est le dieu grec du voyage ?
  1. Poséidon
  2. Zeus
  3. Hermès
  4. Athéna

* Tekke : établissement soufi où se déroulent les cérémonies des derviches tourneurs.

* Chibouk : long tuyau de bois au bout duquel est placé le foyer.

* Balkans : péninsule d’Europe du Sud délimitée grossièrement par le Danube au nord, la Grèce au sud, la Slovénie à l’ouest et la Mer Noire à l’est.

* Sublime Porte : grande porte derrière laquelle siégeait le gouvernement de l’Empire ottoman (le grand vizir en était le chef), et nom que les diplomates étrangers utilisaient pour désigner l’Empire. Derrière cette porte se trouve aujourd’hui la mairie de la ville d’Istanbul.

* Via Egnatia : voie terrestre romaine qui permettait de rallier rapidement Byzance (actuelle Istanbul). Elle traversait les Balkans, où elle partait de l’actuel port de Dürres en Albanie puis traversait l’actuelle Grèce et la Thrace pour atteindre Byzance.

* Raki : eau de vie aromatisée à l’anis, consommée en Turquie et en Grèce notamment.