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C’est la rentrée!

6 septembre 2010

Kilometres parcourus: 1390kms

Lieu: Non loin de Murgab, Tadjikistan

Bienvenue les enfants! Les vacances sont terminées, mais je vous propose de les prolonger de quelques mois en suivant et participant à mon voyage а vélo. Participer, ça veut dire quoi? Poser les questions qui vous viennent à l’esprit, j’y répondrai à l’article suivant, et répondre aux devinettes et exercices que je vous proposerai, via les commentaires. Dans un premier temps, je vous invite à vous approprier le site en parcourant mon itinéraire et les deux articles déjа parus.

Le menu de cette rentrée sera léger: en hors d’oeuvre, une présentation de l’école primaire au Kazakhstan; en plat principal, que se passe-t-il dans les bazars? En guise d’accompagnement, je vous offre deux questions auxquelles vous devrez répondre. Prêts? C’est parti!

A quoi ressemble une école primaire publique kazakhe et quels enseignements y sont dispensés? A Almaty, accompagné d’Anna, nous avons fait le tour de l’école dans laquelle Bakhyt (ndlr: « Bien heureux » littéralement en kazakh) officie comme gardien depuis plus de vingt ans. D’inspiration soviétique, elle présente des similitudes avec celle que vous fréquentez: laïque et obligatoire, le maître / la maîtresse y enseigne plusieurs matières (maths, langue kazakhe, informatique, histoire, cours de géographie / découverte du monde) étalées sur un calendrier découpé en 4 trimestres (de début septembre à fin mai) et sanctionnées par un contrôle continu des connaissances. Le rythme quotidien est sensiblement différent: les cours ont lieu le matin du lundi au samedi, et les après-midi sont dédiées aux activités sportives et culturelles (ateliers manuels, cours d’astronomie etc… à l’école, ou au centre municipal des écoles, où les enfants organisent également des spectacles). Le port de l’uniforme est en outre de rigueur et les langues ont une place importante: en plus du kazakh et du russe qui constituent les langues officielles, les élèves commencent l’apprentissage d’une troisième langue (choix entre l’anglais et le francais) dès l’équivalent du CE1. Enfin, un tableau d’honneur figure à l’entrée de l’école, sur lequel sont distingués les meilleurs élèves par activité, scolaire, sportive et culturelle.

 

                     

Incontournable en Asie centrale, il se réveille doucement а l’aube pour grouiller autour de midi et le week-end. On y vient pour faire ses courses bien sûr, mais aussi pour manger, discuter, le plus souvent travailler. Le bazar fascine: après les récoltes de l’été, c’est un festival d’odeurs et de couleurs dans un dédale de passages en terre et d’allées ombragées, où de jeunes pousseurs kirghizes, ouzbeks, tadjikes et caucasiens acheminent les produits sur des chariots et des vélos. Pas de norme ici, les commerces se présentent sous différentes formes: des caisses de bois remplies de fruits secs et de sucreries, des containers de tôle rouillée utilisés pour vendre de la lingerie ou de la charcuterie, ou encore des trottoirs exploités pour exposer les fruits et légumes de son jardin, à l’abri d’une toile récupérée. On y laisse progressivement ses sens prendre le pas sur ce que l’on cherche, car on trouve tout ou presque dans cet harmonieux désordre : des herbes aux fers a cheval, des legumes vinaigrés vendus par les marchands coréens et des ressorts, des chapeaux traditonnels et du sucre de toutes les couleurs vendu au kilo, des copies de vêtements de sport et des samsas chauds, des saucisses halal et des transistors, des pieces de rechange de Lada et des litres de koumis, sans oublier la vodka locale… Une maman achète un costume а son petit garçon ici, des jeunes filles vont au salon de beauté là, des ados entament quelques pas de danse plus loin sur un des tubes du moment.

A côté des commerces traditionnels, une babushka propose de peser et mesurer le passant sur une machine éprouvée, un vendeur de tchaï pressé hèle les passants.

Il est 9h samedi matin, l’activité bat son plein sur Betinova et je décide de passer sur la berge ouest du bazar. Les bâtiments calcinés et les éclats de verre témoignent des affrontements du mois de juin entre ouzbèks et kirghizes. Dans cette zone désertée, je perçois une odeur de pain frais dans une maison en mauvais état, vers laquelle je me dirige  pour acheter ces délicieux lipioshki (pains ronds). Kader m’invite а rentrer dans son lieu de travail: à côté d’une table de billard allouée aux repas, son fils prépare la pâte et moule ces petites merveilles que je savoure souvent aux déjeuners. Kader m’explique qu’il confectionne des lipioshki ouzbèkes, dont la différence avec les kirghizes provient du mode de cuisson: au lieu d’être chauffés en suspension au dessus d’un petit four, ils sont disposés sur les parois d’un four en terre cuite, rigidifié par des poils de mouton.

Enfin, les questions de la semaine (vous avez besoin de la carte « Silk Road Countries»):

1)   La grande ville vers laquelle je me dirige à l’est est la capitale de l’état du Gorno Badakhchan, située aux coordonnées suivantes: Latitude 37,5° ; Longitude 71,5°. Quelle est le nom de cette ville?

2)   Sachant ses coordonnées et en considérant que la Terre est une sphère parfaite de 40 000kms de circonférence , quelle est la distance au kilomètre près de cette ville de l’équateur et du méridien de Greenwich?

A suivre: les tours de roue sur le toit du monde, l’autoroute M41 du Pamir au Tadjikistan…

Sur la route

26 août 2010

KAZAKHSTAN

Mercredi 4 Août – 7h30 – Almaty: les bagages sont chargés, le ventre est plein, l’envie est grande. Je quitte le confortable domicile d’Anna après les dernières recommandations de Serguei et Tatiana qui m’accompagnent et me saluent chaleureusement au portail. Rêvée de plusieurs années, concrétisée lors de ces 4 derniers mois, l’aventure commence réellement. Cap plein ouest vers l’Ouzbékistan!

Les premières sensations sont plutôt agréables sur la bicyclette lestée de ces 28kgs qui vont constituer ma maison ces 7 prochains mois: la stabilité permise par ce poids et la 2×2 voies facilitent ma progression sous les regards perplexes et amusés des conducteurs et passagers de bus. Alors que j’avale les premiers kilomètres à plus de 25km/h, mes pensées sont obsédées par l’éventualité d’un oubli majeur. Je réalise alors rapidement que l’achat d’un short cycliste aurait été judicieux, acquisition que je reporte pour Tachkent, après que j’aurai enduré une quinzaine de jours de route. Le confort attendra!

Je me surprends à ne ressentir aucune nostalgie ni appréhension à voyager en solitaire après ce départ: l’envie de me laisser porter dans la mesure du possible par les rencontres et l’hospitalité des habitants me rendent optimistes quant à l’idée que je ne serai pas seul. Les premiers contacts confirment mes impressions: entre les fumées noirâtres dégagées par des camions soviétiques trentenaires et les coups de klaxon préventifs, je distingue des pouces levés par les fenêtres et des « Maladietz !» (Formidable!). Après 30kms, je suis même arrêté par Cirik qui me demande un autographe d’une photo de lui sur son vélo et m’offre en guise de remerciement une plaquette de chocolat!

La ville d’Almaty est très étendue et je quitte la 2×2 voies après 70kms seulement. La route est bordée au sud par les sommets enneigés de la chaîne des Tian Shan, qui sépare le Kazakhstan du Kirghizistan, et au nord par une terre plate et aride recouverte de quelques arbustes, prémices de la steppe (*). Les immeubles et centres commerciaux cèdent alors la place à des villages lotis dans de petits oasis d’arbres fruitiers au pied des montagnes.

Il est 17h: j’ai déjà parcouru près de 100kms et me mets en quête d’un lieu de bivouac calme et à l’abri des regards. Après avoir traversé un premier rideau d’arbres à quelque centaines de mètres de la route, je découvre de grands champs de tomates, de concombres et de blé moissonnés. Je me dirige vers une silhouette d’une vingtaine d’années pour lui demander si je peux m’installer pour la nuit sur ses terres:

  • Maleikoum salam! Il y a beaucoup de place, tu peux camper où tu veux!

Voyant mon visage interrogateur à l’idée de planter ma tente sur un sol de tiges de blé coupées, Muzafari poursuit:

  • Le sol n’est pas bon, viens dormir chez moi.
  • Kharacho (« Bien »), spaciba!

Quelle chance d’être invité dès le premier soir! La petite cabane isolée aperçue de loin apparaît alors de près comme une ravissante maison construite dans le prolongement d’une caravane, à partir de troncs de bois recouverts d’une bâche en plastique imperméable et de paille, sous laquelle l’inusable Lada 1200 locale pointe le bout de sa carrosserie. Un parterre soigné de fleurs multicolores encadre le domicile.

Pendant que la maman de Muzafari et ses 3 soeurs préparent les pommes de terre dans un four en terre cuite, je m’installe avec ses 2 frères autour d’une table de bois abritée pour boire un tchaï : il s’agit d’un thé vert (le plus souvent), consommé dans toute l’Asie centrale entre et lors des repas; il est la première chose que l’on offre à un invité. Les traditions diffèrent mais il m’est en l’occurrence servi en deux fois (parfois quatre): le premier bol est en effet remis dans la théière car il représente le feu, le mal. Il est par la suite versé en deux temps: la partie infusée d’abord, à laquelle est ajoutée de l’eau chaude pour diluer.

Mes hôtes sont d’origine ouzbèke. Ils vivent à Osh au Kirghizistan pour l’automne et l’hiver, et le reste de l’année au Kazakhstan, ce depuis plusieurs générations. Muzafari et son frère aîné Daniyar, âgés respectivement de 19 et 23 ans, ont arrêté l’école pour reprendre l’activité agricole de la famille. Ils s’occupent de l’entretien des champs, de la vente aux marchés et des quelques poules qu’ils possèdent, leur maman et leurs sœurs gérant la tenue de la maison, des repas et de la comptabilité. Pas de place pour les otpusk (congés), et c’est un peu gêné que je leur présente la carte de mon parcours de plusieurs mois. Ils ont étudié les pays traversés à l’école mais n’ont jamais eu l’occasion de prendre des vacances au Kirghizistan et en dehors. Ils se demandent comment je fais pour financer ce voyage et dans quel but, questions qui me seront posées régulièrement par la suite. A la différence de ce que nous connaissons en France, ils ne disposent pas de congés payés et leur système de retraite est insuffisant voir inexistant, leurs ressources financières issues de la vente des légumes leur servant ainsi à vivre au quotidien et à épargner un peu. Mon voyage et mon matériel les laissent songeurs mais ils me considèrent avant tout comme un invité. Ils me donnent ce qu’ils ont de plus cher, leur hospitalité et le fruit de leur travail, et je réalise la chance que j’ai de partager ces moments avec eux.

Après une nuit fraîche à la belle étoile et un copieux petit déjeuner, je repars les sacoches alourdies de pain, de tomates et de concombre offerts par la maman de Muzafari. Je leur laisse du lait en poudre, une carte postale dédicacée de Paris et la promesse de leur envoyer les photos prises la veille.

Les « premières fois » continuent: je dois rapidement m’arrêter car ma roue avant est voilée, l’occasion pour un couple de cyclistes australiens se dirigeant vers Almaty de faire une petite halte et pour moi de songer à revenir à mon itinéraire initial. En effet, ils reviennent du Kirghizistan où ils ont passé plus d’un mois (bloqués à Osh pendant les terribles affrontements) et m’expliquent que la situation est tout à fait calme dans le Nord. Les discussions suivantes avec des kazakhes et kirghizes confirment leurs propos et je décide ainsi de me rendre à Bichkek pour le lendemain, afin de glaner plus d’informations. Après une deuxième nuit passée dans une tchaïkhana (*), j’affronte une ligne droite de 50km parcourue au seul son de mes coups de pédale et du vent qui me fait face. Monotone, mais grandiose. Avant d’atteindre le poste frontière, le col de Qorday à 1200m et sa pente à 12% me font d’abord maudire le poids de mes sacoches, dont j’apprécie ensuite l’inertie dans la descente (pointe à 67km/h!).

KIRGHIZISTAN

15 minutes d’attente et de formalités administratives me suffisent pour entrer Kirghizistan. Le nombre de touristes kazakhes me rassure et le changement de pays est rapidement notable. En effet, j’aperçois des traits de visage plus arrondis qu’au Kazakhstan, ainsi que de nombreux visages de type slave ou européen, que j’imagine être des allemands ou ukrainiens qui représentent encore une communauté importante à Bichkek.

J’atterris à 20h à la guesthouse conseillée par les australiens, qui est un vrai melting pot de cultures et de projets: j’y rencontre japonais, européens ou encore une guatémaltèque, et essentiellement des routards de longue durée, dont Steph et Ju, partis depuis la France à vélo; Mike & Joe, un couple de cyclistes néo zélandais se dirigeant vers Paris et avec lesquels je ferai un bout de route; et un allemand qui vagabonde en solo par bateau, avion, scooter depuis… 20 ans. Les récits des merveilles naturelles vues au Kirghizistan, de l’accueil reçu et l’absence d’incident reporté envers des touristes étrangers me convainquent de suivre finalement mon itinéraire initial, soit les lacs Issyk Köl et Song Köl et la région de Kazarman jusqu’à Jalalabad. Une boucle de 670 kilomètres que j’entame après 2 jours de mécanique (la roue avant comporte un défaut de fabrication, expliquant le voile et les sauts de roue!), de ravitaillement et de visite de Bichkek: j’y retrouve les odeurs de shashlyks, la verdure et les austères bâtiments soviétiques, ainsi que les derniers titres de Rihanna et des Black Eyed Peas émis sur les enceintes saturées de téléphones portables.

Mon parcours au Kirghizistan est dicté par le temps (plus que 14 jours avant l’expiration de mon visa), les sites naturels les plus remarquables du pays et par l’envie de sortir des sentiers battus. Quelques données pour se représenter le pays: son territoire dépasse de peu un tiers de celui de la France et il est à 94% composé de montagnes, essentiellement les massifs des Tian Shan et Pamir Alai. Les températures connaissent de fortes variations sur l’année (allant de -30°C à +40°C) et les traditions nomades sont fortes dans ce pays dont l’ethnie majoritaire, les kirghizes, descend des peuples nomades du sud de la Sibérie orientale.

Je me dirige donc vers l’est pour rejoindre 3 jours plus tard le lac Issyk Köl, le deuxième lac alpin au monde, niché à 1600m d’altitude et classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Je pédale plusieurs dizaines de kilomètres à l’ombre des noyers dans un environnement coloré par les champs de tournesols et de blé, et les étals de fruits et de légumes que les commerçants vendent devant leur maison. Peu avant midi, je m’arrête pour me réhydrater et sympathise alors avec Sacha: d’origine Dungan (Chinois turcophones de confession musulmane), il travaille l’été comme saisonnier sur la route touristique d’Issyk Köl et à Almaty le reste de l’année. Nous partageons avec ses jeunes collègues qui travaillent ici pendant les vacances scolaires leurs fantastiques melons sucrés et pastèques, bien plus goûteux que mes nouilles chinoises. Je remets ça près de Kemin le soir à 90 kms de Bishkek, avec cette fois-ci des shashlyks et une bière fraîche au menu, offerts par une famille kirghize en vacances. J’apprécie le sens de l’accueil mais commence à penser que je n’arriverai pas à me délester de mes vivres…

Je goûterai à l’hospitalité kirghize sous diverses manières sur tout mon itinéraire: une babouchka (grand mère en russe) qui m’offre sa confiture d’abricot faite maison, l’invitation de Bakou à dormir chez lui pour éviter les loups et les chacals ou celle de Sachka, qui après avoir déjà accueilli 3 cyclistes, en accepte 3 supplémentaires dans sa seule yourte le même soir. Mes connaissances de russe sont précieuses et me permettent d’en apprendre un peu plus sur la culture et le mode de vie des habitants. Je découvre ainsi chez Bakou une maison kirghize aperçue dans d’autres villages: construite en boue séchée et enduite de chaux pour l’isolation thermique et l’imperméabilité, ses éléments intérieurs de décoration comprennent l’incontournable shyrdak (*) ainsi que des tapis et de grandes couvertures dressés sur les murs. Celles-ci forment également la structure du lit (apposition de plusieurs couches) et la literie. C’est très confortable mais il faut beaucoup de couches lorsque l’air et le sol sont humides!

Au lac Song Köl, joyau situé à 3000m, je vis au rythme de la famille Zagriev le temps d’un après-midi. Semi-nomades comme tous les bergers présents sur les berges du lac, ils effectuent tous les ans aux mois de mai et d’octobre la transhumance de leurs troupeaux. Ceux-ci paissent chaque été à l’air pur dans les gras pâturages d’altitude, appelés jailoos, et permettent aux éleveurs d’être quasi auto-suffisants: les vaches leur fournissent du lait, utilisé également pour préparer du beurre à l’aide d’un séparateur, et les bouses qui séchées, servent de combustible au poêle; les juments fournissent le koumis, un lait frais et entier traditionnellement offert aux hôtes, qui fermente dans un fut en bois dans lequel il est régulièrement baratté à l’aide d’un bâton (ndlr: il est moins acidifié que l’équivalent mongol déjà expérimenté); le lait des chèvres permet la fabrication des kurut, ces petites boules de fromage rondes obtenues après deux jours passés au soleil; la viande est surtout composée de mouton, dont les poils ainsi que ceux de la chèvre servent à la fabrication du feutre, matériau isolant et imperméable, utilisé pour confectionner des vêtements et essentiel pour la construction de la yourte.

Habitat traditionnel des nomades d’Asie centrale, celle-ci est constituée d’un cadre en bois surmonté de piquets attachés à une roue centrale, le tyndyk (représenté sur le drapeau kirghize) et recouverts de couches de laine et de feutre. L’intérieur comporte essentiellement les éléments pour manger, soit le poêle, le meuble de cuisine et une grande table centrale. La pièce étant unique et sans séparation, elle ne laisse pas beaucoup de place à l’intimité. La deuxième yourte, tapissée de quelques couvertures, sert de chambre, pour la famille et les invités.

Quelques règles de bienséance ancestrales sont appréciées lorsqu’elles sont observées: je citerai qu’il faut se déchausser et enlever son couvre-chef à l’entrée de la yourte, après y avoir pénétré avec le pied droit, et que les plats et boissons sont servis et reçus de la main droite. La symbolique du positionnement est en outre importante: le chef de famille s’installe au fond de la yourte et reçoit la boisson ou le repas juste après l’invité (qui se trouve d’après mon expérience à ses côtés); les femmes restent proches des ustensiles ménagers et sont servies en dernier. Les enfants occupent l’espace restant. Ainsi l’homme passe symboliquement par tous les cycles de la vie à travers ses différents espaces.

Les kirghizes sont musulmans mais à l’exception du bénédicité à chaque fin de repas, je constate dans les faits qu’ils ne sont pas vraiment pratiquants (ramadan non observé), ce qui tient probablement à leur culture nomade millénaire qui était de tradition chamanique.

Ce deuxième séjour sous yourte sera ma dernière nuit chez l’habitant jusqu’à Jalalabad et toutes ces rencontres me laissent pensif: les conversations, quoiqu’instructives, restent limitées aux présentations et aux photos de famille et de Paris. Ce long périple et le matériel que j’emporte les a laissés songeurs et je ressens le décalage entre mes vagabondages égoïstes et leur vie quotidienne. Malgré la curiosité témoignée, j’ai l’impression que ce décalage est trop grand, que je ne reste qu’un touriste, dimension que je souhaitais dépasser à travers ce voyage, et un invité qu’il faut recevoir correctement. Mes rencontres ont cependant été trop brèves, limitées à une fin d’après midi et un petit déjeuner le plus souvent, ce qui laisse de fait trop peu de temps pour partager quelque chose de plus fort. Je réalise alors que j’ai beaucoup reçu depuis mon départ mais que je sacrifie le temps que je devrais donner pour la quantité des rencontres et des choses à voir. C’est décidé, je vais moins répondre aux sollicitations et privilégier la qualité et la durée des rencontres pour la suite!

Si l’immensité des plaines et les dégradés de couleur ocre, jaune et vert des massifs sont éblouissants, la faune, à l’exception du bétail, se montre plutôt discrète jusqu’à Jalalabad. Quelques faucons jouent avec les vents ascendants aux abords des crêtes et des cols et Mike, Joe et moi avons la surprise de croiser deux chameaux au lac Song Köl. Pas de trace malheureusement du recherché léopard des neiges.

Nous partons de Song Köl avec Mike et Joe pour 5 jours sur une piste naturelle de 310 kms sur laquelle la vitesse maximale ne dépasse pas les 25km/h et tombe souvent à 6km/h. Les cailloux et les passages en « tôle ondulée » ne facilitent pas la montée des cols à franchir, dont le plus haut se situe à 3000m et est précédé d’improbables yourtes perchées sur de minces flancs. Les yeux rivés sur la route et les mains solidement fixées sur le guidon pour éviter les ornières, nos efforts sont récompensés par la vue des vallées encaissées et des jeux de lumière sur les hautes montagnes arides. Aucun problème pour trouver des bivouacs isolés dans cette région et les repas sont consommés à la lumière des levers et couchers de soleil.

Sur le bord de la route, des enfants survoltés nous coursent sur des vélos disproportionnés. Les visages des aksakal, sages vénérés et gardiens des traditions, vêtus de leur habit traditionnel et portant l’ak-kalpak (le chapeau kirghize), se mêlent aux timides salutations de groupes de femmes qui, coiffées d’un fichu lumineux, sont affairées au nettoyage de vêtements.

Le paysage enchanteur de la fertile vallée de la Fergana s’offre finalement à nous par une fin de journée chaude et ensoleillée. Les champs labourés sont parsemés de coquettes propriétés ombragées, d’où émanent les cris et rires d’enfants en train de jouer. L’harmonie des couleurs et cette vie, laborieuse mais saine, attirent et je me promets de revenir dans ce coin paisible lors de mon séjour en Ouzbékistan (qui partage cette même vallée).

Pour finir, je laisse travailler vos méninges et votre imagination avec ces deux devinettes visuelles. A vous de me dire ce que représentent ces deux photos, réponses à venir au Tadjikistan où je me dirige maintenant pour affronter les cols de plus de 4000m des Pamirs…

(*) Steppe: vastes plaines d’Asie centrale couvertes d’herbes et de buissons subsistant dans un climat sec et continental.

Tchaïkhana: maison de thé littéralement, où étaient seulement consommés du tchaï et des nans (pain). Véritable lieu de vie où se confondent âges et milieux sociaux, dans les villes comme sur les bords de route, on y vient pour faire une halte déjeuner / diner et discuter affaire sur de larges banquettes à même le sol ou surélevées.

Shyrdak: broderie en feutre issu de la laine du mouton, utilisé comme élément de décoration.

Premier post

2 août 2010

Salemetsiz be / Zdrastvouitie !

Arrivé il y a près de 15 jours à Almaty au Kazakhstan, je finalise aujourd’hui les préparatifs avant le grand départ prévu demain* et en profite pour vous donner un aperçu de mes premiers pas en Asie centrale.

Petit retour en arrière, soit le 19 juillet. Après une journée de voyage ponctuée d’un dernier vol turbulent pour atteindre Almaty, je suis reçu à 5h30 à l’aéroport par Anna, aussi explosée que moi mais moins pâle et plus souriante. Nous nous sommes rencontrés seulement à deux reprises en France et, malgré ses doutes quant à la réalisation de ce voyage, elle m’a spontanément ouvert les portes de sa maison.

Je découvre le domicile de ses parents une heure plus tard, le temps de réaliser que le vélo a fait une escale prolongée à Francfort (réceptionné le lendemain, heureusement intact sous le carton déchiré). A peine sortis du lit, ils m’accueillent avec deux grands sourires et un petit déjeuner, assis devant les premiers multikis (dessins animés russes, créés par le studio national soviétique après la Seconde Guerre mondiale, réalisés en faisant défiler plusieurs dessins par seconde) que le papa d’Anna a plaisir à revoir régulièrement. L’occasion pour moi de mettre à profit mes cours de russe, avec un relatif succès dirai-je pour m’exprimer, avec l’aide d’Anna pour comprendre ses parents…

Le papa d’Anna, Sergueï, est d’origine ukrainienne, sa maman, Tatiana, d’origine russe. A la suite de la révolution bolchévique de 1917, notamment de la famine qui s’ensuivit et des expropriations, leurs familles ont émigré au pays des steppes, où Sergueï et Tatiana ont grandi. S’il s’est agi d’épisodes douloureux à l’époque, Sergueï et Tatiana évoquent avec une certaine nostalgie, ou bien avec fatalisme, je ne saurai dire, la vie au Kazakhstan avant l’éclatement de l’Union soviétique. Ingénieur, il travaille aujourd’hui régulièrement 6 jours sur 7, contre 5 à l’époque; l’augmentation du coût de la vie qui a suivi a obligé Tatiana à reprendre un travail ne correspondant pas à ses qualifications. Les retraites sont en outre aujourd’hui plus faibles et un emploi n’est plus acquis. Citons enfin qu’un couple marié se voyait offrir une maison pour s’installer.

Ces avantages ont disparu mais après quelques années d’adaptation, les perspectives du Kazakhstan sont optimistes, ce qui a amené de nombreux habitants des pays voisins à venir y travailler.

Pour illustrer le propos, je prendrai l’exemple de deux Afghans rencontrés à l’ambassade d’Ouzbékistan (l’avantage d’y attendre 4 heures est de pouvoir discuter…): après des études respectivement en Ouzbékistan et en Angleterre, Saïd (28 ans) et Muhammad (la trentaine) ont choisi de monter leur affaire à Almaty: les voitures pour l’un, le textile et les tapis pour l’autre. Trilingues, ils m’expliquent que le gouvernement laisse une plus grande liberté pour entreprendre (et de régler les différends…) que dans les pays voisins, notamment en termes de nature d’activité et de formalités administratives.

Pour l’anecdote, Anna et moi croisons Saïd quelques jours plus tard au parc Novaii (parc construit pour le premier président du Kazakhstan en 1991, N.Nazarbayev, toujours en fonction aujourd’hui). Témoin du mariage de son oncle qui venait y prendre des photos avec sa femme, il me propose de prendre part aux festivités. Mon accoutrement de touriste, ajouté à la gêne de laisser les parents d’Anna qui m’accueillent gentiment depuis déjà une semaine (alors que ce n’était pas prévu), m’obligent à décliner l’invitation. « Je te donnerai mon costume » dit-il. Hésitations… Trop tard, il est parti et je ne le reverrai plus. Quel nul!! Une belle occasion manquée de pouvoir partager cet événement si particulier dans une vie et révélateur de traditions.

L’exmple des échoppes au Zelyonii bazar (le grand bazar dans le centre de la ville) est également intéressant: en simplifiant grossièrement, chaque type de produit est représentatif d’une région ou d’un pays: les fruits et légumes sont vendus par des commerçants tadjike et ouzbèke, la viande par les kazakhs, les produits laitiers par les Caucasiens.

Almaty est une ville très cosmopolite (peu d’européens croisés cependant). Si elle ressemble en d’autres points aux grandes villes européennes (grandes enseignes commerciales étrangères et voitures européennes très présentes, larges avenues, quartier d’affaires flambant neuf), elle se distingue par la présence de ses parcs, regorgeant d’arbres fruitiers, et ses allées d’arbres qui bordent chaque rue. Il faut imaginer une grande ville de deux fois la taille de Paris, construite dans un oasis au pied de montagnes, dont les sommets tutoient les 5 000m.

A la fin de la première semaine, nous avons randonné avec la tante d’Anna et des amis dans ces montagnes qui font partie de la chaîne des Monts Célestes (Tian Shan). Elles offrent un panorama exceptionnel sur la ville et les steppes au nord, et nous y avons récolté des herbes pour le tchaï (thé infusé, boisson chaude la plus consommée en Asie centrale) ainsi que des champignons frais. Cette échappée m’a permis de d’apprécier l’hospitalité russe: après un déjeuner copieux et la cueillette sur des pentes abruptes, un prival (signifie pause « en montagne » en russe) s’est imposé. Pour réchauffer nos corps fatigués et refroidis par les nuages présents à cette altitude, nous avons ainsi partagé une flasque de vodka, consommée par petits shots à coups de « Za zdarovie! » (« santé! ») et (opportunément) accompagnée de cornichons et de sandwiches.

Au rayon alimentation, à l’exception des shashlyks (brochettes de viande cuites au grill et consommées dans toute l’Asie centrale) et manty (sortes de pâtes a choux fourrées à la farce de volaille / boeuf et cuites à la vapeur), j’ai plutôt goûté à la cuisine russe et je n’ai pas été déçu. Les repas (déjeuner et diner) se divisent traditionnellement en 3 parties (des bliouda), à savoir grosso modo le borch (bouillon auquel on ajoute du boeuf, des pommes de terre et de la crème fraîche, appelée smetana), le plat principal et les konfiety (sucreries, comme des morceaux de chocolat ou des troubotchkis) accompagnés de tchaï.

Au rayon des rencontres insolites, j’ai fait la connaissance de Youri, un agent de l’ex-KGB (l’ancienne agence de renseignements soviétique devenue FSB) dans un parc de la ville. La cinquantaine, corpulent et le visage rond coiffé d’une calvitie avancée, ses traits sont figés et son regard glacial. Avant de se présenter:

– Priatnava appetita! (Bon appétit), me lance-t-il

– Spaciba (merci), lui dis-je un peu surpris

– Nous discuterons quand tu auras fini de manger, poursuit-il en russe

– … bien …

–  Tu ne vas pas t’en aller si je m’assois à côté de toi, relance-t-il lorsque j’ai fini mon sandwich

– … non …?

Voyant que je comprends difficilement le russe, il fait des efforts pour parler distinctement et à haute voix, en utilisant des constructions de phrase simples, de sorte que les passants me regardent comme s’il s’agissait d’un attardé. Pas le temps d’en placer une, Youri déroule en me fixant dans les yeux: fier, il dégaine dans un premier temps sa carte avec sa photo d’officier avant de me parler de l’importance de Dieu dans la vie, de la boxe qu’il a pratiquée, de raconter des blagues et d’ajouter: « Toi, tu es un homme bien, tu regardes droit dans les yeux et ils ne trompent jamais ». « ?? … Merci Youri ». Nous nous quittons après avoir célébré notre rencontre autour d’un verre … d’eau.

Je finirai par le mot de la semaine: « rakhat » qui signifie « plaisir » en kazakh et qui est gravé sur le chocolat au lait très apprécié des kazakhs et très justement nommé « Kazakhstan ». Plaisir d’être en Asie centrale donc, plaisir également de commencer à en découdre avec ce périple préparé depuis quatre mois, ce malgré les fantastiques plats préparés par Anna, ces montagnes à peine découvertes aux portes de la ville et les multiki post diner avec Sergueï.

Bonnes vacances à tous!

*Mon départ a en effet été retardé d’une semaine à cause de l’obtention d’un deuxième visa ouzbek qui n’était pas prévu: une agence de voyage kazakhe et des connaissances à Almaty m’ont reporté de récents incidents au Kirghizistan à l’encontre de touristes kazkahes, malgré le retour au calme. Le sud du pays étant par ailleurs instable, ou plutôt non contrôlé ni visité (donc peu d’informations sont  disponibles), j’ai décidé à contre-coeur de ne pas traverser le pays des Monts Célestes. Je ne verrai pas ses montagnes ni les pâturages d’été des nomades mais pourrai découvrir la vallée de la Fergana en Ouzbékistan qui loge de superbes cités caravanières.